Coronavirus et casse-tête contentieux du premier tour des municipales 2020 : quels risques ?
Publié le :
20/04/2020
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Le coronavirus covid-19 aura décidément tout chamboulé : nos rapports sociaux avec l’obligation de pratiquer la distanciation et très bientôt le port général du masque. Il aura réussi à suspendre une réforme des retraites contestée et contestable tant dans son principe que ses modalités. Le voilà qui impacte, voire bouleverse également les recours contentieux en matière électorale. En effet, l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif a bouleversé la temporalité du délai de contestation électorale pour le premier tour du scrutin des élections municipales qui se sont tenues le dimanche 15 mars 2020. Il convient de rappeler que le second tour ces élections municipales, prévu pour le dimanche 22 mars 2020, a été reporté à une date qui sera fixée en fonction des préconisations que fera au Gouvernement le comité de scientifiques dans son rapport prévu pour le 23 mai 2020. Une chose est certaine : le maintien de la date du dimanche 21 juin 2020, retenue initialement pour la tenue du second tour des élections municipales, devient de plus en plus difficile à tenir, face à la pandémie du coronavirus covid-19 et à son caractère extrêmement contagieux et pathogène. A cela s’ajoute le fait que les certitudes scientifiques d’hier sur ce virus ne sont plus celles d’aujourd’hui et encore moins celles certainement de demain.
Le coronavirus aura eu raison donc des délais contentieux pourtant très courts en matière électorale.
En effet, le 3° de l’article 15 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit que les réclamations et les recours mentionnées à l’article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
Il convient de rappeler les termes de l’article R. 119 du code électoral :
« Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif.
Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai.
Le recours formé par le préfet en application de l'article L. 248 doit être exercé dans le délai de quinzaine à dater de la réception du procès-verbal.
Dans l'un et l'autre cas, la notification est faite, dans les trois jours de l'enregistrement de la protestation, aux conseillers dont l'élection est contestée qui sont avisés en même temps qu'ils ont cinq jours pour tout délai à l'effet de déposer leurs défenses au greffe (bureau central ou greffe annexe) du tribunal administratif et de faire connaître s'ils entendent ou non user du droit de présenter des observations orales.
Il est donné récépissé, soit des protestations, soit des défenses déposées au greffe. »
Cette disposition passée inaperçue entraîne que l’élection des conseillers municipaux et communautaires qui ont été élus le 15 mars 2020 au premier tour pourra être contestée jusqu’au cinquième jour jusqu’à 18 heures suivant l’installation de ces derniers. Ainsi, si les conseillers municipaux nouvellement élus sont installés le samedi 23 mai 2020, le délai pour contester l’élection desdits conseillers municipaux élus expirera le jeudi 28 mai 2020 à 18 heures. Dans le cadre normal, il faut savoir que ces élections du 15 mars 2020 n’auraient pu être contestées au-delà du vendredi 20 mars 2020 à 18 heures. Jamais un délai n’a été aussi long en matière de contentieux électoral puisque la contestation pourra intervenir ici plus d’un mois a minima après l’élection acquise, étant rappelé que le délai traditionnel de contestation est seulement de cinq jours. En termes d’insécurité juridique, on ne fait pas mieux, surtout que la date d’installation des nouveaux élus, déclencheur du délai de recours, est en l’état inconnue.
Il est à noter que le III de l’article 19 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif prévoit que les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l'analyse du comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal se tient de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction.
Par dérogation, dans les communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n'a pas été élu au complet, les conseillers municipaux élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l'élection ou, s'il n'a pas lieu, dans les conditions prévues par la loi mentionnée au troisième alinéa du I du présent article.
Par dérogation, les conseillers d'arrondissement et les conseillers de Paris élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l'élection ou, s'il n'a pas lieu, dans les conditions prévues par la loi mentionnée au même troisième alinéa.
L’article 17 de l’ordonnance prévoit en son 2° que le délai imparti au tribunal administratif pour statuer sur les recours contre les résultats des élections municipales générales organisées en 2020 expire, sous réserve de l’application de l’article L. 118-2 du code électoral (listes de candidats soumises à la production de comptes de campagne), le dernier jour du quatrième mois suivant le deuxième tour de ces élections.
Donc en conclusion, jamais un délai de contestation d’une élection n’aura été autant ouvert pour les protestataires mécontents des résultats obtenus en leur faveur, les tribunaux administratifs risquant d’être submergés par des multiplications de recours, le long délai contentieux dérogatoire aidant dans les circonstances de l’espèce. Enfin, il convient d’indiquer que l’annulation d’une élection suppose toujours que les moyens d’irrégularité soulevées soient de nature à altérer les résultats des élections contestées. Ainsi, dans une décision topique le Conseil d’Etat rappelle l’office du juge administratif en matière électorale en indiquant « qu’il n’appartient pas au juge de l’élection de sanctionner toute irrégularité ayant pu entacher le déroulement d’une campagne électorale, mais seulement d’apprécier si cette irrégularité a été de nature à affecter le sincérité du scrutin et, par suite, la validité des résultats proclamés » (Conseil d’Etat, 24 septembre 2008, Elections municipales de Martys, requête n° 317786), rappelant que le fort taux d’abstention à cette élection ne constitue pas un élément d’irrégularité en soi.
Reste toutefois poser la question de la compatibilité de ce délai dérogatoire allongé et différé posé par le 3° de l’article 15 de l’ordonnance avec le principe de sécurité juridique posé par le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel.
Décidément le coronavirus aura impacté nos procédures contentieuses à tous les niveaux et générer également une certaine insécurité juridique dans la direction et la gestion des collectivités communales et structures intercommunales …
Patrick Lingibé
Vice-Président de la Conférence dès Batonniers de France
Ancien membre du Conseil national des barreaux
Bâtonnier
Spécialiste en droit public
Diplômé en droit routier
Médiateur Professionnel
Membre du réseau EUROJURIS
Membre de l'Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM)
SELARL JURISGUYANE
www.jurisguyane.com
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