
Accident du travail : le rapport d'autopsie est désormais couvert par le secret médical
Publié le :
10/04/2025
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Saisie d'un pourvoi posant la question de la conciliation entre le droit de la victime au respect du secret de ses données médicales et la mise en oeuvre, au bénéfice de l'employeur, du principe du contradictoire, la Cour de cassation juge désormais que le rapport d'autopsie constitue un élément couvert par le secret médical, qui n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la CPAM en vue de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident mortel.
Une société a transmis à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) une déclaration d'accident mortel du travail concernant son salarié, décédé après avoir été retrouvé inanimé sur son lieu de travail.Après enquête, la CPAM a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.
L'employeur, se prévalant de l'existence d'un rapport d'autopsie qui ne lui avait pas été communiqué, a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
La cour d'appel de Nancy a déclaré inopposable à l'employeur la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle.
Elle a estimé qu'en soutenant d'abord contre toute évidence qu'aucune autopsie n'avait été réalisée, puis en refusant ensuite d'en communiquer les résultats à l'employeur, la CPAM avait manqué à son obligation d'information.
Dans un arrêt rendu le 3 avril 2025 (pourvoi n° 22-22.634), la Cour de cassation a indiqué avoir jugé qu'il résultait de l'article R. 441-11, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, alors applicable, que la CPAM, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, devait informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments recueillis qui lui sont défavorables et de la possibilité de consulter le dossier avant la date prévue pour sa décision.
Par l'effet de ces dispositions valant autorisation au sens de l'article 226-14 du code pénal, la CPAM était tenue, à peine d'inopposabilité de la décision de prise en charge, de communiquer à l'employeur, sur sa demande, l'entier rapport d'autopsie prévu par l'article L. 442-4 du code de la sécurité sociale.
Cependant, dans un arrêt du 13 juin 2024 (pourvoi n° 22-22.786), la Haute juridiction judiciaire a jugé que l'audiogramme mentionné au tableau n° 42 constituait un élément du diagnostic couvert par le secret médical, de sorte qu'il n'avait pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la CPAM en application de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale.
Il convient, en conséquence, de reconsidérer la jurisprudence rappelée ci-dessus.
En effet, le rapport d'autopsie prévu par l'article L. 442-4 précité, qui comporte des informations sur les causes du décès de la victime, venues à la connaissance des professionnels de santé, est une pièce médicale, couverte comme telle par le secret.
Or, il ne peut être dérogé à l'interdiction de communiquer un document ou des données couverts par le secret médical, principe à valeur législative, que par une disposition législative.
En tout état de cause, aucune autre disposition législative n'autorise l'employeur à obtenir communication de ce rapport au cours de la procédure administrative de prise en charge de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle.
Par ailleurs, la sollicitation par les ayants droit de la victime de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ne peut valoir accord implicite à la levée du secret médical.
Enfin, l'équilibre entre le droit de la victime au respect du secret médical et le droit de l'employeur à une procédure contradictoire dès le stade de l'instruction de la déclaration de la maladie professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie est préservé par la possibilité pour l'employeur contestant le caractère professionnel de l'accident de solliciter du juge la désignation d'un expert à qui seront remises les pièces composant le dossier médical de la victime.
L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que le rapport d'autopsie constitue un élément couvert par le secret médical, qui n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse en application de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale.
Ainsi, en l'espèce, si c'est conformément à la jurisprudence précédente que la cour d'appel de Nancy en a déduit que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident de la victime était inopposable à l'employeur, le présent arrêt qui opère revirement, conduit à l'annulation de son arrêt.
EXTRAIT DE L'ARRET DE LA DEUXIEME CHAMBRE CIVILE DE LA COUR DE CASSATION :
" Vu les articles L. 1110-4 du code de la santé publique, L. 315-1, V, et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, R. 441-13 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-756 du 7 juin 2016, R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicables au litige, et le tableau n° 42 des maladies professionnelles :
4. La deuxième chambre civile est saisie d'un pourvoi posant la question de la conciliation entre le droit de la victime au respect du secret de ses données médicales et la mise en oeuvre, au bénéfice de l'employeur, du principe du contradictoire au cours de la procédure d'instruction au terme de laquelle la caisse primaire d'assurance maladie se prononce sur le caractère professionnel de la maladie prévue au tableau n° 42 des maladies professionnelles.
5. Aux termes du premier de ces textes, toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins, a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance des professionnels intervenant dans le système de santé.
6. Aux termes du deuxième de ces textes, les praticiens-conseils du service du contrôle médical et les personnes placées sous leur autorité n'ont accès aux données de santé à caractère personnel que si elles sont strictement nécessaires à l'exercice de leur mission, dans le respect du secret médical.
7. Aux termes du troisième de ces textes, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
8. Le dernier de ces textes prévoit que le diagnostic de l'hypoacousie de perception par lésion cochléaire irréversible, accompagnée ou non d'acouphènes, est établi par une audiométrie tonale liminaire et une audiométrie vocale qui doivent être concordantes, réalisées après une cessation d'exposition au bruit lésionnel d'au moins 3 jours et devant faire apparaître sur la meilleure oreille un déficit d'au moins 35 dB.
9. En application du cinquième, lorsqu'avant de prendre sa décision, elle a envoyé un questionnaire sur les circonstances ou la cause de la maladie ou procédé à une enquête, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R. 441-13.
10. Selon le quatrième de ces textes, le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre la déclaration de maladie professionnelle, les divers certificats médicaux détenus par la caisse, les constats faits par la caisse primaire, les informations parvenues à la caisse de chacune des parties, et les éléments communiqués par la caisse régionale.
11. La Cour de cassation juge de manière constante que lors de l'instruction d'une demande de reconnaissance du caractère professionnel de l'affection désignée par le tableau n° 42, le dossier constitué par les services administratifs de la caisse primaire d'assurance maladie en application de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale doit, à peine d'inopposabilité de la décision de prise en charge, comprendre les audiogrammes obtenus lors des audiométries qui doivent être réalisées dans les conditions et délais fixés par ce tableau (notamment Soc.,19 octobre 1995, pourvoi n° 93-12.329 ; 2e Civ. 11 octobre 2018, pourvoi n° 17-18.901).
12. Cependant, la mise en oeuvre de cette jurisprudence soulève des difficultés au regard des obligations déontologiques, auxquelles sont soumis les professionnels de santé.
13. En outre, la Cour de cassation juge que la teneur de l'examen tomodensitométrique mentionné au tableau n°30 B des maladies professionnelles, qui constitue un élément du diagnostic, n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse en application de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale et dont l'employeur peut demander la communication (2e Civ., 17 janvier 2008, pourvoi n° 07-13.356, publié au Bulletin). Elle adopte la même interprétation, s'agissant de la teneur de l'examen d'imagerie par résonnance magnétique (IRM) mentionné au tableau n° 57 A des maladies professionnelles (2e Civ., 29 mai 2019, pourvoi n° 18-14.811, publié au Bulletin).
14. Il convient, dès lors, de reconsidérer notre jurisprudence relative à la communication de l'audiogramme.
15. En effet, l'audiogramme, qui comporte des informations sur le diagnostic de la maladie concernant la victime venues à la connaissance des professionnels de santé, est une pièce médicale, couverte comme telle par le secret.
16. En outre, si l'article L. 461-5 du code de la sécurité sociale prévoit la transmission aux services administratifs de la caisse primaire d'assurance maladie du certificat médical initial indiquant la nature de la maladie, il n'autorise pas, en revanche, la détention de l'audiogramme par lesdits services ni sa communication à l'employeur par le praticien-conseil au cours de la procédure d'instruction. Aucune autre disposition législative n'autorise la levée du secret médical.
17. Par ailleurs, ni l'accord de la victime ni son absence d'opposition à la levée du secret médical ne peuvent résulter de la simple demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.
18. Enfin, l'équilibre entre le droit de la victime au respect du secret médical et le droit de l'employeur à une procédure contradictoire dès le stade de l'instruction de la déclaration de la maladie professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie est préservé par la possibilité pour l'employeur contestant le caractère professionnel de la maladie de solliciter du juge la désignation d'un expert à qui seront remises les pièces composant le dossier médical de la victime (CEDH, décision du 27 mars 2012, Eternit c. France, n° 20041/10).
19. A cette même fin de conciliation de ces droits, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a organisé, dès le stade de la saisine de la commission médicale de recours amiable, compétente pour connaître des contestations de nature médicale postérieures au 1er janvier 2019, les modalités de transmission par le praticien-conseil du service du contrôle médical de l'intégralité du rapport médical reprenant les constats résultant de l'examen clinique de l'assuré ainsi que ceux résultant des examens consultés par le praticien-conseil justifiant sa décision, sans que puisse être opposé l'article 226-13 du code pénal.
20. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que l'audiogramme mentionné au tableau n° 42 des maladies professionnelles constitue un élément du diagnostic couvert par le secret médical, de sorte qu'il n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse en application de l'article R. 441-13 du code de la sécurité sociale.
21. Pour déclarer la décision de prise en charge inopposable à l'employeur, l'arrêt retient que les examens audiométriques réalisés sur la victime et destinés à caractériser la maladie conformément au tableau n° 42 sont des éléments constitutifs de la maladie et susceptibles de faire grief à l'employeur. Il en déduit que la caisse n'ayant pas fait figurer ces examens au dossier mis à disposition de l'employeur, le principe du contradictoire n'a pas été respecté.
22. Si c'est conformément à la jurisprudence rappelée au paragraphe 11 que la cour d'appel en a déduit que la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie de la victime était inopposable à l'employeur, le présent arrêt qui opère revirement de jurisprudence conduit à l'annulation de son arrêt.
23. En conséquence, il y a lieu à annulation de l'arrêt attaqué. "