Pollution : le capitaine d'un navire peut être responsable du carburant utilisé
Le capitaine d'un navire est responsable du carburant utilisé.
Il est susceptible d'être pénalement condamné dans le cas de l'utilisation d'un carburant présentant un taux de soufre supérieur à celui autorisé dans les eaux territoriales françaises, y compris si la compagnie qui l'engage lui a donné des informations erronées à ce sujet.
Le 29 mars 2018, un centre de sécurité des navires a effectué un contrôle du combustible utilisé par un navire de croisière appartenant à une société britannique.
Ce contrôle avait notamment pour objet de vérifier le respect des prescriptions de l'article L. 218-2 du code de l'environnement relatif aux limitations de la teneur en soufre des combustibles. Il s'est avéré que le bon de soutage du combustible utilisé indiquait une teneur en soufre de 1,75 % et l'analyse d'un échantillon a révélé une teneur de 1,68 %, alors qu'elle aurait dû être inférieure ou égale à 1,50 %.
Un procès-verbal de constatation d'infraction a été établi.
Le capitaine du navire a été cité devant le tribunal correctionnel pour pollution de l'air en raison de l'utilisation, par un navire en mer territoriale, de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées.
La société britannique a été citée, en sa qualité de propriétaire et exploitante du navire.
Le tribunal a déclaré le capitaine du navire coupable, l'a condamné à une amende mise à la charge de la société britannique.
La cour d'appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 6 octobre 2021, a confirmé la condamnation.
La chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 6 décembre 2022 (pourvoi n° 21-85.948), a rejeté le pourvoi formé par la société et le capitaine du navire.
Elle rappelle, tout d'abord, qu'aux termes de l'article 121-3 du code pénal, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. En l'espèce, le capitaine avait admis être informé de l'obligation d'utiliser un combustible présentant un taux de soufre inférieur à 1,5 %.
Les décisions d'approvisionnement en carburant sont prises par un service spécialisé de la compagnie qui détermine quel navire va s'approvisionner avec quel type de fioul, en quelle quantité et dans quel port, en fonction notamment des disponibilités dans les futures escales, des prix variables d'un port à l'autre, du nombre de miles nautiques à parcourir et des législations environnementales applicables dans les ports concernés.
Pour autant, il n'en demeure pas moins que, comme l'a relevé le capitaine lors de l'audience, le choix du carburant est fait sur le navire, en fonction certes des instructions du système International safety management (ISM) émanant de la compagnie, mais qu'in fine ce choix est soumis au capitaine pour validation.
Enfin, une audition avec le centre de sécurité des navires PACA-Corse a confirmé que le capitaine peut à tout moment intervenir sur le combustible à consommer.
Pour la Cour de cassation, le capitaine reste garant de la sécurité du navire et de son équipage, de la protection de l'environnement et de la sûreté.
Il est tenu personnellement, à ce titre, de connaitre et faire respecter, sans pouvoir évoquer son ignorance de la loi, les règles relatives à la pollution par les rejets des navires, et doit s'assurer de la conformité du combustible utilisé à la législation applicable.
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Extrait de la motivation de l'arrêt de la Cour de cassation :
" 10. L'article L. 218-2, II, du code de l'environnement, interprété à la lumière, d'une part, de la directive 1999/32/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides et modifiant la directive 93/12/CEE, telle que modifiée par la directive 2005/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2005, d'autre part, de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 23 janvier 2014 (CJUE, arrêt du 23 janvier 2014, Mattia Manzi et Compagnia Naviera Orchestra, C-537/11), selon lequel un navire de croisière relève du champ d'application de l'article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 précitée au regard du critère des « services réguliers », tel qu'énoncé à son article 2, point 3 octies, à condition qu'il effectue des croisières, avec ou sans escales, s'achevant dans le port de départ ou dans un autre port, pour autant que ces croisières sont organisées à une fréquence déterminée, à des dates précises et, en principe, à des heures de départ et d'arrivée précises, les intéressés pouvant librement choisir entre les différentes croisières offertes, est rédigé en termes suffisamment clairs et précis pour que son interprétation se fasse sans risque d'arbitraire, de sorte qu'il ne méconnaît pas l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.
11. Par ailleurs, comme le souligne la directive 2012/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 21 novembre 2012 modifiant la directive 1999/32 précitée, la circonstance que les navires à passagers opèrent principalement dans les ports ou à proximité des zones côtières et ont une incidence notable sur la santé humaine et sur l'environnement est de nature à justifier que, pour améliorer la qualité de l'air à proximité des ports et des côtes, ces navires soient tenus d'utiliser des combustibles marins présentant une teneur maximale en soufre de 1,50 %, jusqu'à ce que des normes plus strictes pour le soufre s'appliquent à tous les navires présents dans les eaux territoriales, zones économiques exclusives et zones de contrôle de la pollution des États membres, de sorte que l'article L. 218-2, II, du code de l'environnement ne méconnaît pas non plus l'article 14 de la Convention précitée.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté. "
Rappel des textes visés dans l'arrêt rendu :
Article 121-3 du code pénal :
" Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. "
Article L. 218-15 du code de l'environnement :
" I. – Est puni d'un an d'emprisonnement et de 200 000 € d'amende le fait, pour tout capitaine d'un navire, de se rendre coupable d'infractions aux dispositions de la règle 11 de l'annexe IV et des règles 3,4 et 5 de l'annexe V de la convention MARPOL.
Est puni de la même peine le fait, pour tout capitaine de navire, de rejeter des eaux usées en violation des règles 4.2.1 et 4.2.2 du chapitre IV de la partie II-A du Recueil international de règles applicables aux navires exploités dans les eaux polaires, ou sans l'autorisation prévue par la règle 4.2.3 du même chapitre, ou de rejeter des ordures en violation des règles 5.2.1 et 5.2.2 du chapitre V de la partie II-A du même Recueil.
II. – Est puni d'un an d'emprisonnement et de 200 000 € d'amende le fait, pour tout capitaine d'un navire, de se rendre coupable d'infractions aux dispositions des règles 12,13,16 et 18 de l'annexe VI de la convention MARPOL, ainsi qu'aux dispositions des I à IV de l'article L. 218-2. "
Patrick Lingibé
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